L’annonce, samedi 12 mars dernier, par le Premier ministre Monsieur Edouard Philippe, de la fermeture « jusqu’à nouvel ordre », des lieux recevant du public « non indispensable à la vie du pays », et qui concerne notamment « les restaurants, cafés, cinémas et discothèques », mérite que l’on y revienne de nouveau.
En effet, la France, l’Europe et vraisemblablement le monde entier, sont en train de traverser une crise sanitaire majeure, entraînant des bouleversements politiques jamais vus depuis la Seconde Guerre mondiale (avec des fermetures de frontières y compris entre pays européens membres de l’espace Schengen), ce qui aura un impact économique sans précédent dans les années à venir.
Si l’ensemble des activités économiques est concerné, le secteur des cafés-hôtels-restaurants (CHR) sera à n’en pas douter l’un des plus affectés. L’épisode du Covid-19 s’ajoute en effet à une autre série de crises récentes – voire toujours d’actualité – dont les commerçants et restaurateurs sont déjà les victimes : crise des gilets jaunes depuis plus d’un an, mouvements sociaux et grèves du mois de décembre 2019 en pleine période de Noël.
À ces « crises ponctuelles » s’ajoute en outre une difficulté sectorielle qui touche les commerçants de manière générale avec l’essor du commerce en ligne (on se souvient des déclarations en novembre dernier du Secrétaire d’État chargé du Numérique, Monsieur Mounir Mahjoubi, sur le fait qu’Amazon « détruit plus d’emplois qu’il n’en crée »).
S’agissant de la restauration, nous sommes également loin de connaître les conséquences exactes qu’auront sur le secteur les nouveaux acteurs de la livraison à domicile type Deliveroo. Ces nouveaux modes de consommation, s’ils apparaissent à première vue comme une aubaine pour les restaurateurs (en augmentant leur zone de chalandise de manière virtuelle) pourrait également sur le long terme avoir un impact négatif, les consommateurs perdant le réflexe de se rendre physiquement au restaurant, ce qui aura des conséquences directes sur certains métiers (comme les serveurs), sur nos modes de sociabilité, mais également sur l’immobilier commercial de manière générale : y aura-t-il encore un sens à louer un local avec une salle pour accueillir du public, quand seule une cuisine partagée suffit à générer de l’activité ?
Face à ces crises, la première réponse apportée par les investisseurs en matière d’immobilier commercial a été de penser à convertir les fonds de commerce peu à peu abandonnés en local de location saisonnière de type Airbnb. Mais là encore, l’industrie va être durablement affectée par la crise du coronavirus (baisse de fréquentation touristique). Surtout, à plus long terme, on sait que les politiques publiques et les maires en particulier ont cette activité dans leur viseur, soucieux d’essayer de redynamiser les centres-villes et de tenter d’y réintroduire des petits commerces (sur un modèle qui reste à réinventer).
Dans tout ce contexte se pose donc la question du sort du bail commercial, et du loyer en particulier.
À terme, la crise va entraîner mécaniquement plusieurs conséquences :
Côté propriétaire : les locataires n’étant plus en mesure de régler leur loyer, du moins pour les plus gravement impactés par la crise, les bailleurs risquent pour un grand nombre d’entre eux de chercher à les expulser en invoquant la fameuse « clause résolutoire » que renferment la plupart des baux commerciaux. On risque de voir dans les mois à venir une explosion de ce type de contentieux. Et bien que ces procédures soient en principe initiées « en référé » c’est-à-dire selon un processus accéléré, il est clair que l’engorgement actuel des tribunaux (encore accru avec leur fermeture pendant l’épidémie de Covid-19) entraînera des lenteurs judiciaires que les propriétaires devront anticiper s’ils ne veulent pas eux-mêmes subir de plein fouet les conséquences d’impayés prolongés (avec, sans doute, l’impossibilité pour eux-mêmes de faire face aux remboursements des emprunts bancaires contractés pour financer les murs commerciaux).
Côté locataire : un grand nombre vont sans doute tenter de solliciter une révision à la baisse du montant du loyer du bail commercial. À cet égard, plusieurs fondements peuvent être imaginés, notamment la théorie de l’imprévision. Cette théorie a pour fondement l’article 1195 du Code civil, dont on rappellera les dispositions :
« Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.
En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. À défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe ».
On peut effectivement se demander si ces dispositions pourraient être invoquées par le locataire afin de solliciter une baisse du loyer – ou du moins d’initier une négociation sur ce point – invoquant les circonstances imprévisibles entraînées par la crise du coronavirus.
D’autres fondements pourraient à notre sens être invoqués sur ce point, tel que la force majeure prévue par l’article 1218 du Code civil :
« Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur.
Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1 ».
À n’en pas douter, ces dispositions pourraient également être invoquées par le preneur pour justifier, temporairement, une impossibilité de s’acquitter du loyer prévu au bail.
Et au-delà de ces articles généraux du Code civil, d’autres dispositions tirées du statut des baux commerciaux du Code de commerce nous semblent également pouvoir êtres invoqués par les locataires : en effet, si la crise sanitaire du coronavirus devait durer plusieurs semaines voire plusieurs mois, cela aura pour effet d’appauvrir certaines zones peu à peu abandonnées (par un mécanisme de faillite en chaîne).
Cette désertification aura vraisemblablement des impacts sur la commercialité de certains quartiers, et donc sur leur valeur locative, pouvant entraîner un contentieux sur la baisse du montant du loyer à l’occasion de la révision triennale du bail, ou de son renouvellement.
Dernière conséquence prévisible de la crise : un essor important des opérations de rachats de fonds de commerce à la barre du tribunal. En effet, si les cessions de fonds de commerce « classiques », in bonis, vont peut-être connaître un coup d’arrêt à court terme avec la crise du coronavirus et la fermeture des restaurants, il est clair qu’en sortie de crises, bon nombre d’exploitants n’auront d’autre choix que de déposer le bilan. L’ouverture de ces procédures collectives en chaîne donnera vraisemblablement lieu à des ventes massives sous l’égide du tribunal de commerce, que ce soit dans le cadre de redressement judiciaire, ou liquidation judiciaire.
En attendant, nul n’étant en mesure de présager le temps que durera cette crise, l’heure est avant tout à la solidarité nationale et internationale : continuons d’appeler à l’entraide collective, afin de faire face au mieux à ces temps de crise sans précédent.
Espérons à cet égard que les rapports bailleurs / locataires donneront avant tout lieu dans les semaines à venir à du dialogue et de la compréhension mutuelle, plutôt qu’à du contentieux et des procédures qui, pour le moment, sont en tout état de cause à l’arrêt.
Baptiste Robelin – Avocat – Droit des affaires